Deux études sur l'origine du mot "guénel" sont en ma possession: L'une qu'a écrit par Jules le Cat du Bresty, membre de la Société Académique du Boulonnais, bibliothécaire archiviste adjoint au Commandant Bléard à l'époque où le docteur Gaston Houzel faisait partie du Comité de Lecture de la Société Académique du Boulonnais vers 1912 (ces informations me proviennent de l'Université du Michigan qui possède les exemplaires complets de quelques-uns des bulletins annuels de La Société Académique du Boulonnais dont vous pouvez découvrir deux extraits ci-dessous)

L'autre provient d'un récit d'Ernest Deseille (1835-1889) secrétaire annuel de la Société Académique du Boulonnais de 1866 à 1872.

Voici tout d'abord l'étude étymologique réalisée par Jules le Cat du Bresty:

O Guénel : tentative étymologique

Le soir de la veille de Noël, les enfants en Boulonnais parcourent les rues, une lanterne allumée à la main, s’arrêtant de porte en porte pour chanter sur un air qui a une étrange ressemblance avec celui de la chanson populaire "Au Clair de la lune" les couplets suivants :

O guéneau (1) guénel

O guéneau (1) guénel

Toupe toupe toupe

Lavez vos écuelles

Et léquez vos plats ;

Si vos filles sont belles,.

O les mariera ;

Si n’sont pont belles,

O les quittra là

Tra la la

 

O guénel par un p’tit treu

J’vous vois bien là tous les deux

Minger de l’tarte et du gatiau (2)

Sans min donner un p’tit morciau

Sur l’ littoral français. Mais on a vu qu’on a perdu

P’tit Jésus passera par là

I dira quoiqu’té fais là

J’cueille des violettes Pour ché fillettes

Des violons

Pour ces garçons (3)

 

(1)   Alias guéno

(2)   Alias Watiau – la tarte et le gâteau étaient chez nos ancêtres comme le complément de toutes les fêtes. Cf la chanson où il est dit qu’il a « été à l’ducasse d’Outriau menger d’al tarte et du watiau »

(3)   Alias Garchons. Ce dernier couplet est à rapprocher du chant du bourdhuie : Des rougettes Pour ces fillettes Des Cafignons Pour ches garçons

Tout cela n’a guère de signification aujourd’hui mais le chant primitif était beaucoup plus long et les deux couplets ont certainement été défigurés avec le temps.

On a essayé bien des explications du mot « O Guénel » que nous venons de voir. Pour les uns, c’est une déformation du mot « O gai Noël ». d’autres ont cru y reconnaître le vieux cri « Au gui l’an neuf » qui nous est parvenu méconnaissable et protéiforme : Aguilanneuf, aguilanleu, Equilanleu, Guilanneuf et qui se lisait Anguinel dans certains pays et, dans d’autres, comme en Normandie : Hoguinelo etc.

Comme l’année commençait autrefois à Noël, il a même pris, assure-t-on le sens d’étrennes, mot qui se dit Aguineldo en espagnol, comme s’il n’y avait pas eu de Pyrénées pour notre Au Gui l’an neuf.

Nos auteurs locaux ne nous donnent guère de renseignements sur (au ou) O Guénel (v. Vocubalaire Boullenois etc.). Pour E. Deseille Au guénelle est une corruption de « Au gui l’an neuf ». Charles d’héricault voit au contraire dans «O Guénel »  une contraction de « O guay Noël » oubliant sans doute ou ignorant qu’en langage boulonnais Noël se dit, se prononce Noez, Noé et non pas Nel.

On assure que ces chants de la veille de Noël sont encore usités de nos jours en Bretagne, en Poitou et même au-delà de la Manche et dans l’île de Man.

En dehors de la forme Auguinel, qui doit être celle d’Oguénel un peu modifiée, et de celle normande Hoguinelo, voisine de la Bretagne, la ressemblance de ces variantes avec notre « O guénel » est plutôt vague.

Mais d’où vient ce mot ?

Le Flamand qui a laissé tant de traces dans la patronymie comme dans la toponymie du Boulonnais ne nous offre pas de paronyme utile à ma connaissance.

Le vieux français nous donne les suivants : Génelle, synonyme de notre mot fourdaine, et que nous allons retrouver avec  une autre signification, et guénelle qui veut dire banderolle.

Le patois boulonnais nous présente les mots Wain1 ou gain, récolte, qui a pu avoir pour diminutif wainel ou gainel, gainée quote part de bénéfices, de gain partagée entre les hommes d’équipage d’un bateau de pêche ; quenel, petit chêne (en bas breton qwezenn zéro) genelle (ho gan en bas breton) nom du fruit, non pas du prunelier, comme dans le vieux français, mais de l’aubépine (bas breton spernqwen) ; ganelle, nom de la renoncule mort aux vaches (ranuncoulus acris) ; gunet, bergeronnette jaune.

Giniau (ginesta en latin), geneste en rouchi genet à balai (Sarothannus Scorparius) qui a pu avoir la forme gueneau guenel.

La signification de ces divers mots ne semble avoir aucun rapport, même lointain avec la fête de Noël ou avec le gui.

Dans notre langage boulonnais, gui se dit Vielame, Vielunne, Vieilhome ou Viulhomme, il y a même sur Beussent un hameau qui porte ce nom étrange, comme si ce lieu avait été le dernier refuge du druidisme chez nous. Mais, même en remplaçant selon la règle de l’étymologie le « v »par un « g », nous n’obtiendrions qu’un mot n’ayant guère d’air de famille avec au guénel2

1- CfLocalité du nom de Wasne au bac, autre nom de Wannel, nom de famille  de Wannel
2- le Gui viscum album est une plante de la famille des lorenthacéesappelée aussi guèi blanc, blanc gui 
(cf blaque glau, nom d’un triage de la forêt de Boulogne) gui du chêne : en anglais mitletoe, en allemand mistel Eichen

Serons-nous plus heureux si nous portons nos recherches dans la vieille langue de l’antique Armorique, ce dernier refuge des druides ?

            Arvor est la patrie de St-Guénoel, disciple de St-Guénolé (Guignolé, Winvallois ou Wallois) dont une paroisse de Montreuil a porté le nom, et sa langue nous offre les mots : gwen, blanc, qui a aussi le sens de germe, race, origine ; gwin, vin1 guweneli, hirondelle, oiseau de printemps, mais non de Noël ; Kan, chant, Kanel, bobine2. Aucun de ces mots , à mon avis ne peut nous satisfaire.

            Il n’en sera peut-être pas de même avec les mots guenneal, guennel, ange et surtout avec genel, qui doit se prononcer, je crois, guénel et qui signifie engendrer, donner le jour, naître. A Béthléem, les anges n’apparaissent-ils pas aux bergers le jour de Noël, et ce jour n’est-il pas aussi celui de la naissance du Christ ?

            L’Eglise, on le sait, se garda bien de supprimer les usages du paganisme. Elle a du faire de même avec la fête du gui, lui donner un sens, une forme chrétienne, en faire, non pas peut-être la fête des anges, mais, au lieu de la fête du gui, celle de la naissance de l’enfant Dieu.


1-Il est souvent question du vin en même temps que des druides ; on sait que la légende de la fontaine des Bardes, à Ferques,
 nous apprend que l’eau de cette fontaine en vin excellent pour celui qui en boit en état de grâce, à minuit, à Noël.

           L’O guénel serait devenu ainsi le chant de la nativité du petit Jésus dont il est question dans le second couplet et les mots toupe et toupe et toupe du premier couplet ne seraient-ils pas une forme du verbe breton tapen donner (tap, tap, tap).

            Autrefois, à Montreuil, ne chantait-on pas également O Guénel et ne disait-on pas dans ce chant Donnez, donnez à notre reine1. Et, de nos jours encore, en Picardie, le lendemain d’une noce, les jeunes gens ne vont-ils pas à gaine (mot qui a pu avoir les formes diminutives gainette ou gainelle) c’est à dire de maison en maison solliciter le don de quelques poules afin de continuer la fête ?

Je me permets de soumettre à la Société Académique l’essai étymologique qui précède. Peut-être aura-t-il pour résultat d’embrouiller un peu plus la question mais, au moins, il fixera le texte d’un chant curieux qui sera vite oublié. Des étrangers avaient, il y a quelques années cherché à dénaturer notre guénel pour en faire quelque chose d’inepte. Il n’était peut-être pas inutile d’avoir un texte à peu près exact et complet. La société Académique n’est-elle pas la gardienne des traditions du Boulonnais comme de la vérité historique. A ce titre, ce qui précède aura peut-être quelque intérêt pour elle, et la question n’en est pas dépourvue d’ailleurs.

Jules Le Cat

1- La Reine Berthe sans doute. Il y a bien des mots du bas Breton qui sont passés dans notre langue comme touse (taouz chêne vert) duel (tuel toile) tonne ou tondre (tonne amadou)

palot (pal pelle)

 

Voici maintenant la version d'Ernest Deseille:

Au Guénel

La veille de Noël, les gamins du Boulonnais ont encore l’habitude de parcourir les rues avec une lanterne de papier huilé et de chanter, devant chaque maison, avec l’espoir d’obtenir un petit sou :

Au guénel

Au guénel

Toupe et toupe

Lavez vos écuelles

Et léquez vos plats ;

Si vos filles sont belles,.

O les mariera ;

Et s'en sont pont belles,

O les quitt'ra là,Tra la la

 

Presque partout on retrouve une coutume identique, et le mot Au guénel a été l’objet des commentaires les plus extraordinaires. Ceux qui ne cherchent pas midi à quatorze heures ont traduit immédiatement : Au gai Noël !

D’autres y ont vu une corruption de Au gui l’an neuf. M.Jouaneoux traduit pour Hoguinèle, mendiante.

Ne serait-ce pas plutôt Hoge,ne Hyne, mot saxon, présent annuel du maître à ses serviteurs ? Ce qu’il y a de certain, c’est que l’usage est ancien comme le mot ; la véritable orthographe, si on la trouve, en indiquera la véritable origine. 

Curiosités du pays boulonnais

Ernest Deseille (1835-1889)

Il est à remarquer qu'il n'est pas encore question de betterave pour fabriquer le guénel. L'utilisation de ce végétal est donc certainement postérieure à l'ouvrage d'Ernest Deseille

Conclusion

Aucun de ces deux auteurs ne nous apporte la véritable origine du mot Guénel mais tous les deux rejettent la contraction de "Au Gai Noël" qui présente quand même l'avantage d'être simple même s'il est vrai que Noël se prononce "Noé" en boulonnais comme l'écrit justement Jules le Cat du Bresty.

Je terminerai cette recherche d'origine par la conclusion d'Ernest Deseille: la véritable orthographe, si on la trouve, indiquera la véritable origine.