Biographie

 

1- Son enfance

Louis Cousin naquit le 28 juin 1916 à Etaples-sur-mer dans le Pas-de-Calais. 

Il avait déjà décidé de se faire remarquer puisqu'il est né prématurément au bout de 7 mois de grossesse ce qui, à l'époque, ne lui laissait que peu de chances de survie ...

Sa mère s'occupait courageusement d'un autre garçon né en 1914 (deux filles nées précédemment étant décédées avant le début de la Grande Guerre) alors que son père, fusilier marin, se battait pour la France sur le front belge à Dixmuide se faisant remarquer par sa bravoure et ses faits d'armes obtenant de nombreuses distinctions militaires dont celle de Chevalier dans l'Ordre de la Légion d'Honneur. 

Ses premiers mois furent difficiles mais, enveloppé dans de l'ouate, il réussit à passer ce premier cap délicat montrant déjà la robustesse de sa constitution.

Heureusement, mon grand-père eut le bonheur de revenir sain et sauf de la guerre et reprit alors ses activités de marin avant de devenir Garde maritime. Ses nouvelles fonctions l'amenèrent alors au Tréport, en Seine Maritime qui s'appelait Seine Inférieure à l'époque, et c'est là que s'écoulèrent les premières années de la vie de mon père.

De cette période, je n'ai retenu que quelques faits marquants:

    Le premier aura une influence sur toute sa vie professionnelle puisqu'il n'avait que 4 ans quand il déclara à sa mère qu'il voulait être instituteur ce qui n'était pas tombé dans l'oreille d'une sourde puisque, vu la notoriété de la fonction à l'époque, celle-ci lui fit suivre les études nécessaires à l'accomplissement de son désir d'enfant. 

Ouvrons une petite parenthèse: ma grand-mère, issue d'une famille de 18 enfants (du plus que courant à Etaples-sur-mer à cette époque), était une femme de caractère qui voulait que ses enfants soient au-dessus du panier dans leur vie  d'adulte et était prête à tous les sacrifices pour qu'ils aient l'éducation nécessaire à leur réussite. C'est pourquoi elle leur fit donner des leçons de musique pour apprendre à jouer du violon (instrument noble par excellence). A ces cours de musique s'ajoutaient ceux de chant puisque, chaque soir, toute la famille interprétait les succès à la mode de l'époque: chacun avait son cahier de chansons et le mettait à jour dès qu'un nouveau titre était connu. Mon père possédait encore le sien dans les années 70 quand son frère lui demanda de lui prêter ce qu'il fit lui demandant d'y faire très attention .... Quand il voulut le récupérer, la petite fille de mon oncle était passée par là: il ne restait plus que quelques pages gribouillées et déchirées par cette main innocente ce qui lui fit beaucoup de peine et explique peut-être son grand désir de voir ses chansons lui survivre....

   Le second concerne sa vie religieuse: comme la plupart des familles issues de la marine, mes grands-parents étaient très croyants ce qui valut au jeune Louis, d'être, comme son frère, enfant de chœur dès qu'il fut en âge de l'être et, comme la plupart de ses "collègues", il fit quelques farces au curé de sa paroisse remplaçant, par exemple, le vin de messe par de l'eau ce qui n'était pas du tout du goût de l'ecclésiastique et lui valut quelques corrections dont il s'est souvenu toute sa vie puisque (conséquence directe ou indirecte?) il est devenu un anticlérical notoire dès qu'il put voler de ses propres ailes.

     Un autre évènement joua certainement un rôle encore plus important dans sa vie. Il s'agit d'un fait relatif à sa scolarité.

    Un jour que son instituteur écrivait au tableau noir, une boulette en papier, venue d'on ne sait où, vint s'écraser sur le tableau noir. Il est évident que Monsieur Carton (appelons-le ainsi car j'ai oublié son nom) ne pouvait laisser passer une telle marque d'indiscipline dans l' école de la République dont il était le serviteur. Il se retourna donc fort en colère en demandant l'auteur de cet outrage. Aucune réponse ne lui parvint ce qui fit monter son ire d'un cran supplémentaire:

- Si personne ne se dénonce, je me verrai dans l'obligation de punir toute la classe. Je vous laisse quelques minutes pour réfléchir.

C'est alors que Dupont leva la main et dit:

-M'sieur, c'est Cousin!

- Comment? Cousin, c'est toi?

- Non, Monsieur, répondit mon père, je vous l'assure. 

- Allez, avoue, répliqua le maître d'un ton devenant tout doucereux, tu éviteras à toute la classe d 'être punie et, je te promets que tu ne seras pas sanctionné pour avoir eu le courage de te dénoncer.

- C'est moi, déclara mon père convaincu d'agir dans l'intérêt de tous.

- Tu en es bien sûr? reprit Monsieur Carton du même ton.

- Oui, reprit mon père de plus en plus persuadé d'avoir fait ce qu'il fallait pour calmer son enseignant.

- Bon, alors, viens avec moi dans le couloir, nous allons régler ce petit problème.

Ce qui s'est passé dans le couloir, ce jour-là, mon père ne l'a jamais oublié car il reçut là, la seule correction de sa vie d'écolier mais quelle correction!!!

Il l'a d'autant moins oublié qu'à la remise mensuelle des Tableaux d'Honneur, une véritable institution de le Troisième République, le Directeur annonça, quand ce fut le tour de mon père d'être récompensé:

- Il y a aussi Cousin mais, à mon regret, devant son indiscipline, je déchire  la récompense qu'il méritait pour son travail scolaire.

En effet, excellent élève, il recevait régulièrement les félicitations du directeur de son école avec remise devant tous les élèves de l'école d'une inscription au Tableau d'Honneur de l'école que beaucoup de ses camarades lui enviaient. 

Cet évènement est, sans aucun doute, à l'origine de sa lutte continuelle contre l'injustice car, vous vous en doutez, il n'avait pas lancé la fameuse boulette. 

L'épilogue de cette histoire surviendra presque 40 ans plus tard quand, rendant visite à un oncle qui habitait encore Le Tréport dans la maison de son enfance, il rencontra, par hasard, le Dupont qui l'avait dénoncé:

- Tu sais, Louis, je dois t'avouer quelque chose ...

- La boulette? l'interrompit mon père

- Oui!

- Et alors? 

- C'était moi!

- Comment? Et tu m'as dénoncé?

- Pardonne-moi! Le père Carton était dans une telle fureur que je n'ai pas osé dire que c'était moi. Je t'ai dénoncé, pensant que, venant de toi qui étais son meilleur élève, il n'aurait rien fait. La suite m'a, hélas, prouvé que j'avais tort. Je suis bien content d'avoir pu enfin libérer ma conscience.

Bien entendu, mon père, content de connaître enfin le coupable, pardonna  et l'histoire s'acheva par le pot de l'amitié dans un bistrot!

2- Son adolescence

    Excellent élève de l'école primaire du Tréport, il fut orienté tout naturellement au collège de la ville d'Eu (comme on dit là-bas) fréquenté, entre autres, par les héritiers de Louis-Philippe 1er  prétendants officiels au trône de France. Rien de particulier n'est à signaler pour cette période qui l'amena, sans coup férir, de la 6ème à la 3ème. Cette dernière classe lui permettait de passer le concours d'entrée à l'École Normale de Rouen. Les différentes épreuves ne lui posèrent aucun problème  à l'exception de la dissertation: il s'agissait de commenter la citation suivante d'un auteur dont j'ai oublié le nom 

"Quand mon ami est borgne, je le regarde de profil"

    Certes, mon père regarda bien de profil son ami mais du mauvais côté lui donnant tous les défauts. Cette mauvaise interprétation lui valut le droit de recommencer l'année suivante où il fut admis avec brio.

    A voir le regard qu'il avait lorsqu'il évoquait ces années-là, il est clair que le temps passé à l'EN de Rouen fait certainement parti des plus belles années de sa jeunesse.

    Son tempérament jovial d'amuseur public qu'il était déjà lui avaient valu la sympathie immédiate des autres normaliens qui le surnommaient Planchet aussi bien pour sa grande taille filiforme (1,84 m pour 60 kg) qu'en souvenir de son interprétation désopilante dans Les trois mousquetaires où il jouait le rôle du serviteur de D'Artagnan dans une pièce de théâtre montée avec les autres normaliens de sa promotion.

 

3-Les années E.N.

Comme je l'ai écrit un peu plus haut, il est clair que ces années-là l'ont marqué par le bon temps qu'il y a passé. Ce n'est pas pour rien qu'on appelait les Ecoles Normales les séminaires laïcs. On y restait trois ans pour préparer un diplôme spécifique aux instituteurs: le Brevet Supérieur. Pendant ces trois années, on y formait les normaliens à devenir de bons enseignants en étant très rigoureux sur  tout ( de l'écriture qui devenait devenir parfaite à la culture générale en passant par l'esprit de solidarité du groupe: souvenez-vous des différents comportements du père de Marcel Pagnol si bien décrits dans La gloire de mon père puis dans Le château de ma mère)

Une culture générale exceptionnelle était requise pour obtenir le BS, comme on l'appelait à l'époque: des cours d'agriculture existaient !!! Ces cours étaient jugés peu importants par mon père qui les "séchait" régulièrement. Il se rendait dans une verrière située près des toilettes et s'occupait à rêvasser de choses et d'autres; il lui arrivait même de potasser d'autres cours. Il ne fut jamais surpris dans ses activités d'école buissonnière, ses absences en cours étant soigneusement cachées au professeur par ses copains de promotion. Il fut bien près de l'être une fois: d'autres normaliens des deux autres promotions présentes à l'E.N. vinrent se cacher dans le même secteur et se mirent  à fumer dans les toilettes.... Lui qui n'était pas encore fumeur sentit -si on peut dire vu le lieu- le danger de la situation ; il décida d'aller assister au cours. Bien lui en prit car la fumée des cigarettes fit repérer  les autres et ils furent démasqués ce qui leur valut quelques privations de sortie...

Il en risqua d'autres dans diverses circonstances notamment lorsque, suite à un pari , il passa, vêtu de son seul slip de bain, sous les fenêtres de la chambre de la fille du Directeur !!!

Je suis persuadé qu'il y avait matière à écrire un livre avec tout ce qui avait pu se passer dans cette E.N. avec un chapitre final mêlé à l'Histoire internationale de l'époque. En effet, il était de coutume que la fin de la scolarité de 3 ans dans les E.N. se terminait par un voyage. Celui de sa promotion (1933-1936) avait l'Espagne pour destination... 

    Partis de Rouen à la fin de l'année scolaire qui, rappelons-le, était fixée à cette époque au 14 juillet, les futurs instituteurs se trouvaient en Espagne quand se produisit l'insurrection franquiste du 17 juillet. Les organisateurs n'eurent pas d'autre solution que de rentrer en France alors qu'ils étaient aux environs de Lérida. En chemin, ils rencontrèrent plusieurs groupes de protagonistes acclamant tour à tour les républicains, les franquistes et les partisans du Général Mola. Ils arrivèrent sans encombre à Bayonne où un journaliste d'un grand quotidien parisien (je crois que mon père m'avait parlé de "Paris Soir" mais je n'en suis pas absolument sûr), à la recherche d'un titre accrocheur, crut bon de titrer à la une de son journal   "Un autocar français arrive à Hendaye criblé de balles". Vous imaginez sans peine l'état de mes grands-parents lorsqu'ils en eurent connaissance ! Ils furent heureusement vite rassurés à la lecture de l'article qui ne signalait aucune victime. En réalité, leur autobus avait été victime de l'état déplorable des routes espagnoles: de nombreuses vitres avaient été cassées par des projections de cailloux. 

La visite de l’Espagne étant devenue impossible, le voyage se limita aux Pyrénées françaises ce qui ne l’empêcha pas  de rester bien gravé dans les mémoires à tel point que ce fut le lieu de nos premières vacances en 1961.

4- Ses débuts dans l'enseignement

            Le 1er octobre suivant, il était, pour la première fois de sa vie, à la tête d’une classe à EU: le cours préparatoire, cours très délicat puisque c’est celui de tous les apprentissages fondamentaux nécessaires à la suite de la scolarité. Ce cours était réputé difficile à assurer à tel point que les enseignants chevronnés ne voulaient pas l’occuper. Ainsi, c’était quand même un comble, les débutants devaient se débrouiller le mieux qu'ils pouvaient avec les plus jeunes élèves de l'école. Ce fut une révélation pour mon père qui ne quitta le CP qu’une seule année dans sa carrière    un CE2 en 1955 à Camiers pour que je puisse bénéficier d'un enseignement réel. En effet, ce niveau de cours n’avait pas d’instituteur titulaire et je devais subir les maladresses bien involontaires de remplaçants sans aucune formation professionnelle n’ayant parfois que la première partie du baccalauréat.

5- La guerre

Je n’ai que peu de renseignements concernant cette période pourtant très importante pour la suite de sa vie puisque c’est pendant cette période qu’il rencontra et épousa ma mère. Je me contenterai donc de restituer le mieux possible quelques aventures qu’il m’a racontées :

Dunkerque 1940.

Appelé sous les drapeaux dans la Marine en 1937, mon père s’y trouvait encore en 1940 et, plus précisément, à Dunkerque lorsque surgit la débâcle de juin. Il attendait donc le bon vouloir des anglais pour l’évacuer avec les autres marins et allait embarquer sur un bateau quand, brusquement, l’officier anglais chargé de l’évacuation l’arrêta pour laisser passer quelques-uns de ses compatriotes. Il pestait contre les Anglais et  leur comportement nationaliste quand il vit l'embarcation qu'il devait occuper être coulée par l'aviation allemande. Sa bonne étoile venait, une fois encore, de lui sauver la vie.

    Algérie 1940

Après un bref passage en Angleterre, il fut "rapatrié" en Algérie où, pour avoir voulu descendre trop rapidement d'un tramway en marche, il se fractura le bras doit. Ce malencontreux accident eut pour conséquence indirecte une incapacité permanente et définitive à jouer du violon, la fracture ayant été mal réduite par le chirurgien de l'Armée. 

La fin de la guerre

De retour en France, il échappa encore une fois miraculeusement à la mort: il se trouvait dans la buvette d'une gare (dont j'ai oublié le nom) avec un ami quand une alerte retentit. Au lieu de se diriger vers l'abri prévu, ils sortirent de la gare. Bien leur en prit car, quelques instants plus tard, celle-ci reçut une bombe qui la fit exploser. S'étant jeté à terre en entendant la bombe, il ne se releva qu'après le passage du bombardier pour s'apercevoir que son compagnon était mort sur lui, la tête reposant sur ses chaussures ...    

Par la suite, il fut rapidement démobilisé et reprit son poste d'enseignant en Seine inférieure (la Seine maritime de maintenant). Le temps des vacances scolaires, il se rendait dans le Pas-de-Calais au Portel où mon grand-père avait été nommé Garde maritime. C'est ainsi qu'il rencontra ma mère dont les grands-parents étaient voisins de ses parents: à cette époque, ma mère était employée à la Mairie du Portel plus particulièrement de la distribution des tickets de rationnement et, tout naturellement, pour rendre service à ses voisins, elle leur rapportait chez eux leur dû. Un beau jour, elle y rencontra mon père et ce fut un coup de foudre réciproque. A chaque "petite vacance", il se dépêchait de courir vers sa bien-aimée. Cest ainsi qu'il se trouvait au Portel lors des terribles bombardements de septembre 1943 dont vous pourrez avoir une idée en suivant ce lien.

A suivre

 

 

 

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